CONCEPTION, REALISATION ET INSTALLATION D’UNE OEUVRE D’ART EN HOMMAGE AUX VICTIMES DE L’ESCLAVAGE AU SEIN DU JARDIN DES TUILERIES
Purpose: : Le présent marché a pour objet la conception, la réalisation et l’installation d’une œuvre d’art en hommage aux victimes de l’esclavage au sein du jardin des Tuileries, ainsi que la cession des droits d’auteur liés à cette œuvre.

Figure 1 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Point d'entrée/Rendering of the Memory to the Victims of Slavery project - Entry point. Drawing by Julian Phillips

Figure 1 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Point d'entrée/Rendering of the Memory to the Victims of Slavery project - Entry point. Drawing by Julian Phillips

MINISTRY OF CULTURE 
General Directorate of artistic creation (DGCA) 
182, rue Saint-Honoré 75001 Paris 
+33 (0)1 40 15 80 00 

Chers membres de la DGCA,

Je suis artiste résidant et travaillant aux États-Unis. Mon travail se situe aux confluents de la race, de l’histoire et de la violence. C’est pour cette raison que j’ai décidé de répondre à votre appel à candidatures pour LA CONCEPTION, RÉALISATION ET INSTALLATION D’UNE OEUVRE D’ART EN HOMMAGE AUX VICTIMES DE L’ESCLAVAGE AU SEIN DU JARDIN DES TUILERIES. Les plans et les dessins sont présentés dans l’Annexe A.

Mon travail et mes installations publiques sont décrits dans l’Annexe B. Mon travail a été exposé dans de nombreux musées, galeries et autres espaces, comme vous pourrez le voir dans l’Annexe C.

Je ne fais pas partie d’une société ou d’un cabinet d’architectes, mais j’apprécie néanmoins l’occasion qui m’est offerte de partager mes idées et mon projet, qui consiste à dynamiser le site des Tuileries autour d’un espace dédié à l’histoire, à la responsabilisation, au deuil et à la réflexion sur l’avenir. Je soumets donc à votre attention le projet suivant.

Individu > Object > Citoyen 

En tant que descendant d’un peuple asservi, ma démarche artistique prend le point de vue des dépossédés. Je suis issu d’une vaste diaspora — du déplacement forcé d’individus. D’individus qui ont survécu à l’enlèvement, à la traversée de l’Atlantique (dite Passage du Milieu), à l’asservissement, à la vente, au travail, au viol et à la mort — le tout dans la servitude. D’individus privés de leur langue et de leur culture afin d’être réduits à l’état d’objet. Ces objets étaient ensuite soumis à toutes sortes de contraintes et de violences. Ils sont devenus des objets de labeur et de commerce, au profit des autres. Leurs vies brisées et leur travail forcé ont financé la construction du monde moderne. À travers leur résistance et leur révolte contre l’oppression, ils ont su concrétiser la valeur humaniste de la liberté, et ont finalement acquis les avantages et les responsabilités garantis par la citoyenneté. De ce fait, ils ont permis à la nation de vivre pleinement les valeurs de sa devise, liberté, égalité, fraternité.

 Mon projet souhaite donner une forme concrète à ce parcours imposé d’individu à objet à citoyen qui est le propre de l’esclavage. Il rend visibles et concrets l’histoire et les horreurs de l’esclavage. Il place les évènements et les acteurs de ce commerce dans le contexte des circonstances politiques et économiques. Il rend hommage aux vies, au labeur et aux contributions des disparus et des dépossédés, et offre à la nation un lieu de recueillement et de mémoire imprégné de leur présence.

Figure 2 - Jean Boudriot, Untitled Image (Sleeping Positions of Captive Africans on the French Slave Ship L'Aurore), Traite et Navire Nègrier, Collection Archéologie Navale Française (Paris 1984), p. 87. Les Anneaux de la Mèmoire: Nantes-Europe, Afr…

Figure 2 - Jean Boudriot, Untitled Image (Sleeping Positions of Captive Africans on the French Slave Ship L'Aurore), Traite et Navire Nègrier, Collection Archéologie Navale Française (Paris 1984), p. 87. Les Anneaux de la Mèmoire: Nantes-Europe, Afrique, Amèriques (Nantes, France, 1992). Catalog for an exhibition on the slave trade, shown at the Chateau des Ducs de Bretagne, Nantes 1992-1994. (from http://www.slaveryimages.org/s/slaveryimages/item/2552)

Individu

Il est impératif de reconnaître dès le départ que l’esclavage a été imposé à des individus. Les navires ne quittaient pas la France pour l’Afrique afin d’aller chercher des esclaves — ils y allaient avec pour but de capturer des individus à des fins d’asservissement. Tout comme leurs ravisseurs, ces personnes avaient des vies et des communautés, une religion, des familles — en bref, une humanité. Il est très clair qu’il n’est en aucun cas nécessaire de conférer de la dignité aux personnes réduites en esclavage: ils ont toujours eu de la dignité et se sont battus pour préserver leur humanité malgré un traitement inhumain. Ce que nous devons mettre en avant, ce sont les actions de ceux qui ont agi pour ôter cette dignité et qui, par conséquent, ont commis un crime contre un peuple étranger au profit de l’état. Cette suppression de la dignité est au cœur de la démarche de l’esclavage — suppression qui consiste en des actions politiques et économiques prises par l’état-nation pour réduire une personne au statut d’objet. Ce mémorial incarne l’effacement de l’individu au travers d’une expérience physique: l’interruption de l’espace libre et à la place, un tunnel. Le point bas du site (autrement dit, le point le plus stable) symbolize l’individu au repos, avant que l’on ne lui enlève sa vie, sa communauté, sa foi et sa famille. 

Objet

Nous avons établi qu’être “esclave” ne constitue pas une identité, et que l’esclavage est une violence faite aux corps d’individus.  Ce processus d’asservissement implique une série d’actions qui vise à séparer les personnes de leur culture et de leur milieu. Ces actions ont été menées à des fins commerciales — en supprimant leur valeur en tant qu’individus et en la remplaçant par une valeur de marchandise. Ce traitement déshumanisant des captifs commençait dès leur enlèvement: ils étaient enchaînés et entassés dans les cales de navires comme du bétail. Interdits de communiquer avec leur famille, ne pouvant pas bouger, le corps coincé dans un espace d’environ 35x76x152cm, ils subissaient ensuite la traversée du Passage du Milieu, qui pouvait durer plus de deux mois. La déshydratation, la malnutrition, la brutalité de leurs ravisseurs, la séparation des familles; tout ceci contribuait à la suppression de la dignité des captifs. Pour certains, la seule autonomie encore à leur portée était de se jeter par-dessus bord, et certaines femmes le faisaient parfois même avec leurs enfants dans les bras. 

Arrivés dans les colonies, les prisonniers étaient vendus comme esclaves aux esclavagistes. Le bloc des ventes aux enchères est le site réel et figuratif de la transformation de l’individu en objet. Ne comprenant pas la langue, ni leur situation, affaiblis par la malnutrition et le voyage, la déshumanisation des prisonniers était pleinement achevée lorsqu’ils étaient introduits de force dans une situation où leurs vies, leur labeur et leurs corps ne leur appartenaient plus. Dans un monde entièrement nouveau, sans communauté aucune, les prisonniers durent apprendre à s’adapter.

Comme je l’ai expliqué ci-dessus, la transformation d’individus en objets servait à assouvir les besoins de main-d’oeuvre de la nation. Au fil du temps, la nation a avancé l’argument que l’individu Noir étaient naturellement voué à la servitude. Elle le fit bien sûr pour justifier ses actions, et non parce que les personnes Noires possédaient une quelconque capacité innée à être traitées comme objet. La nation a exploité la politique, la loi et la religion pour renforcer l’idée d’infériorité des personnes Noires afin de justifier l’asservissement. Laissés à eux-mêmes, les Noirs deviendraient paresseux et/ou dangereux. Ces doctrines suprémacistes ont entraîné la mise en place de lois et de politiques visant à empêcher les personnes réduites en esclavage de participer pleinement à la vie citoyenne du pays dans lequel ils se trouvaient à présent.

Citoyen

Loin d’accepter ce statut réduit, les personnes Noires et leurs alliés abolitionnistes se sont battus à petite et à grande échelle pour affirmer leur autonomie en tant qu’individus. Grèves, révoltes, révolutions et défense des droits de la personne sont les marques d’un peuple asservi qui revendique les droits citoyens dont on l’a privé. Grâce à leurs actions, la nation a commencé à comprendre que non seulement l’esclavage devait être aboli, mais qu’il était incompatible avec les valeurs humanistes que la République affirmait vouloir garantir pour tous les citoyens. Même après les deux décrêts d’abolition de 1794 et de 1848, le Code Noir et les attitudes suprémacistes ont continué de spolier les personnes Noires des droits citoyens tenus pour acquis par leurs compatriotes blancs.

 Au fil du temps, les citoyens Noirs de la République ont clairement démontré que leur contribution à la nation est digne d’honneur. La République est aujourd’hui prête à admettre ce vol des vies et du labeur de ces individus, et reconnaît l’importance de les honorer en tant que citoyens qui ont fait de la République ce qu’elle est aujourd’hui.

Parcours: Individu > Objet > Citoyen

Fondamentalement, l'esclavage est une question de contrôle du corps — du corps Noir. Une réponse évidente serait donc de représenter ce corps et d’en faire un lieu de vénération. Mais je pense que la situation exige une autre forme — une forme qui évoque la présence de tous ceux qui ont disparu ou ont été enlevés, plutôt qu’une effigie ou autre représentation idéalisée. Comme je l’ai dit auparavant, il n’est pas nécessaire de conférer de la dignité aux personnes réduites en esclavage puisqu’elles ont toujours conservé leur humanité malgré le traitement qu’elles ont subi. Et un geste figuratif traditionnel risque d’être mal interprété dans le temps et dans l’espace, et soumis à l’influence de notre perception contemporaine du corps. Enfin, ce type d’interprétation met l’accent sur “les gens” plutôt que sur “les individus”, et présente l’esclavage comme l’acte personnel d’individus mauvais plutôt que comme une machine politique et économique.

Figure 3 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Vue en plan montrant les trois zones du site / Rendering of the Memory to the Victims of Slavery project - Plan view showing the three thematic areas of the site. Drawing by Julian …

Figure 3 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Vue en plan montrant les trois zones du site / Rendering of the Memory to the Victims of Slavery project - Plan view showing the three thematic areas of the site. Drawing by Julian Phillips.

Mon but est d’adresser la transformation d’individu en objet, afin d’évoquer le corps sans kitsch ni sentimentalisme, de mettre en évidence l’humanité des personnes asservies de façon concrète et tactile au sein du monument, de mettre le spectateur en dialogue avec le corps, et de lui faire comprendre l’ampleur du coût humain. Je propose d’accomplir ceci en comblant le vide créé par l’esclavage avec la chaleur des disparus.

Le prisonner asservi était confiné dans la cale jusqu’à 17 heures par jours, entassé tête-bêche avec les autres dans un espace de 35x76x152cm environ. Pour évoquer cette sensation, des stèles de bronze seront incrustées dans les murs du mémorial. Chacune mesurera 35x76cm pour témoigner de l’espace restreint accordé aux prisonniers. Celles-ci seront en décalage par rapport au mur, à distances variées, afin de conférer de l’individualité à chaque unité.

Pour évoquer la présence des passagers, chaque stèle sera chauffée à la température moyenne d’un corps humain. Les formes rectangulaires seront donc tièdes au toucher s’il fait frais dehors, reproduisant ainsi la sensation de poser la main sur une personne. Ces simples formes rectangulaires transmettront toute la chaleur humaine des personnes réduites en esclavage sans les caricaturer. La taille des stèles donne une mesure visible et concrète de la décision politique et économique de placer un humain dans un espace aussi étroit —  de réduire l’individu à l’état de marchandise. En chauffant chacun des éléments, les stèles deviennent vivantes au toucher. Ainsi, le métal de l’objet devient la chair de la victime.

Ces stèles seront incrustées dans le mur d’une large structure triangulaire en bois qui évoque la proue d’un navire — élément-clé du transport des prisonniers vers les colonies pour être vendus. Ce mur est la ligne de démarcation qui sépare l’individu et l’objet. De l’extérieur, on voit une large surface de bois gravée avec les noms de tous les navires qui transportaient cette marchandise humaine au service de la République. On peut voir ainsi l’ampleur du commerce des êtres humains. Au tournant, le spectateur se retrouve dans un passage — une représentation concrète et puissante du Passage du Milieu. En un pas, on passe de l’état d’individu, libre de parcourir le jardin comme bon lui semble, à la cale d’un navire remplie d’objets (ou prisonniers). C’est seulement durant la traversée du couloir que l’on découvre la chaleur et la présence de la marchandise humaine affichée sur le mur en face de nous.

Figure 4 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Détail du passage du milieu et stèles chauffées / Rendering of the Memory to the Victims of Slavery project - Detail of Middle Passage and heated stelae. Drawing by Julian Phillips.

Figure 4 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Détail du passage du milieu et stèles chauffées / Rendering of the Memory to the Victims of Slavery project - Detail of Middle Passage and heated stelae. Drawing by Julian Phillips.

Ce passage est encadré d’un côté par les stèles chauffées, et de l’autre par un mur de granit (idéalement en provenance de Nantes). Ces deux cloisons enferment le spectateur et créent un puits de lumière venant du haut. Cela recréé l’ambiance d’une cale de navire et symbolise également la notion d’évasion, de liberté, toujours présente dans l’esprit des prisonniers. Les archives de l’esclavage sont gravées dans le mur de granite: le nom des ports et des colonies, les dates auxquelles elles furent établies, les plans des navires, des dessins de chaînes et les cartes coloniales du Nouveau Monde. D’un côté, les décisions politiques et économiques, de l’autre, la présence humaine des esclaves au travers de l’expérience physique du Passage du Milieu. Le couloir rétrécit au fur et à mesure que le spectateur avance, symbolisant la perte de la langue, de la communauté et de la société.

À la sortie du Passage du Milieu, le navire et le mur de granit laissent place à des rampes de chaque côté d’une plateforme légèrement surélevée, surmontée d’une dalle de granit noire en forme de bloc de vente aux enchères. La violence de l’enlèvement aboutit au moment ou le prisonnier est sorti de l’ombre pour être examiné et vendu — une expérience de déshumanisaion subie à maintes reprises. Pendant longtemps un site d’objectification, la sculpture reprend cette forme pour en faire un cénotaphe; symbole des victimes de ce commerce et des personnes vendues en esclavage. Il est accessible à tous et permet au spectateur de se recueillir et de mesurer à quel point l’affichage constant des corps Noirs est le résultat direct d’un système politique et économique. Il servira également comme point de rencontre et comme podium lors des cérémonies commémoratives. 

 Le bloc de ventes auc enchères est longé par un espace triangulaire qui fait face à la Place de la Concorde et s’ouvre au nord sur le Jeu de Paume et l’Hôtel de la Marine. Face à ces sites qui sont d’une importance capitale dans l’identité de la République et l’histoire de l’abolition, le spectateur se retrouve confronté à l’histoire gravée sur les murs de la structure triangulaire. Les lois, les révoltes et les dates-clé de la résistance sont taillées dans la pierre. Le spectateur doit lire de droite à gauche, et finit faisant face à l’Hôtel de la Marine, dont la position est inscrite dans le granit. Tangible et haptique, la structure permet au public de toucher l’histoire au fur et à mesure de la lecture, et de traverser cette chronologie avec leur corps. Ainsi, ils complètent le parcours vers la citoyenneté. Le mur intérieur du Passage du Milieu et de l’esclavage laisse place à l’air libre de la démocratie.

 Le mémorial aboutit dans un parc bordé de trois murs de granit qui renforcent la structure triangulaire. Ces murs portent les noms des 200,000. Ils symbolisent le parcours d’individu, à l’état d’objet, au statut de citoyen et offrent un cadre et une toile de fond pour l’engagement et le rassemblement communautaire. La pointe de granit est orienté plein nord et s’ouvre face à l’Hôtel de la Marine. Les cérémonies qui se tiendront ici seront entourées des noms connus des personnes vendues en esclavage. Ils seront ainsi visibles en permanence au cœur du jardin. Tous les noms sont visibles, tangibles et à portée de main. Ils sont tournés vers la nation avec honneur et fierté, et donnent un contexte à la mémoire et un lien avec le monde vivant. 

Annexe A

Figure 4 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Vue de la pelouse face au nord-est. Mur de noms (droite et gauche), bloc d'enchères et chronologie de l'historique/View of the lawn facing north-east. Wall of namesl (right and left…

Figure 4 - Rendu du projet de Mémoire aux Victimes de L'esclavage - Vue de la pelouse face au nord-est. Mur de noms (droite et gauche), bloc d'enchères et chronologie de l'historique/View of the lawn facing north-east. Wall of namesl (right and left), Auction Block, and History Timeline

Site plan

Site plan

 
Access and Egress

Access and Egress

 
Exploded view with wall heights

Exploded view with wall heights

 
Concept drawing for stelae.

Concept drawing for stelae.

 


Annexe B - Projets d’Art Public

Projet 1:

Three Deliberate Grays for Freddie (A Memorial for Freddie Gray) (Trois Gris Intentionnels pour Freddie – Mémorial pour Freddie Gray)

Musée Isabella Stewart Gardner, Boston, Massachusetts, 02115 USA

Date: 27 Juin 2018 - 21 Janvier 2019

Contact/Référence:
Pieranna Cavalchini
Tom et Lisa Blumenthal, Commissaire d’Art Contemporain
Musée Isabella Stewart Gardner
25 Evans Way
Boston, Massachusetts, USA
pcavalchini@isgm.org

Site

https://www.gardnermuseum.org/calendar/exhibition/steve-locke-freddie-gray

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TROIS GRIS INTENTIONNELS est une commande pour la façade du musée Gardner, réalisé par l’architecte Renzo Piano. Cette installation est un site public pour pleurer la perte de Freddie Gray et pour panser les blessures entraînées par son meurtre — meurtre commis à Baltimore, mais également dans le domicile de tous les Américains. Les images et la vidéo de l’attaque contre Mr Gray étaient omniprésentes sur les écrans; ses cris de douleurs retransmis à la télévision, son hospitalisation diffusée aux actualités. Un citoyen transformé en objet devant nos yeux, sans que personne ne soit au final tenu responsable de sa douleur, sa souffrance et sa disparition. Cette destruction publique appelle une réponse publique pour faire le deuil, guérir les blessures et honorer sa mémoire. Ce projet met en couleurs Mr Gray — sa vie, son aggression, son hospitalisation. Dans “Freddie Gray”,  il y a la couleur de l’installation, mais également de l’homme.

Histoire

Le 12 Avril 2015, Freddie Carlos Gray, Jr., un homme Noir américain de 25 ans, est arrêté par la police de Baltimore. Selon la police, il est en possession d’un couteau à cran, illégal à Baltimore. Lors de son transport dans le fourgon de police, Mr Gray tombe dans un coma, et est emmené dans un centre de traumatologie. Mr Gray décède le 19 Avril 2015 des suites d’une fracture de la colonne vertébrale. Les enregistrements vidéo des passants et des caméras de surveillance montrant son arrestation ont fait la tournée des réseaux sociaux. On y voit Mr Gray hurlant de douleur pendant son interpellation, incapable de marcher. Selon le rapport de police, Mr Gray a été placé dans le fourgon dans les 11 minutes qui ont suivi son interpellation. Trente minutes plus tard, les secours étaient appelés pour emmener Mr Gray à l’hôpital. Le fourgon s’est arrêté à quatre reprises durant sa détention. À 8h46, la police a fait descendre Mr Gray du fourgon pour lui mettre des entraves aux chevilles, à cause de son attitude soi-disant “colérique”. Cette pose des entraves a été filmée sur un portable: on voit Mr Gray immobile, entouré de plusieurs agents de police qui le retiennent. Un autre arrêt, enregistré par une caméra de surveillance privée, montre le fourgon à l’arrêt devant une épicerie. À 8h59, un deuxième prisonnier est placé dans le fourgon et les policiers vérifient l’état de Mr Gray. À 9h24, le fourgon arrive à destination: le commissariat de police du West District. Les secours tentent de ranimer Mr Gray pendant 21 minutes, avant de l’emmener au centre de traumatologie R Adams Cowley, à l’université de Maryland. Il est 9h45, et Mr Gray est dans un coma. Selon l’avocat de la famille Gray, Mr Gray a souffert au moins un arrêt cardio-pulmonaire la semaine suivante, et a été ranimé sans jamais reprendre connaissance. Il est resté dans un coma, et a subi de multiples interventions chirurgicales pour tenter de sauver sa vie. Selon sa famille, trois de ses vertèbres étaient fracturées, son larynx était écrasé, et sa colonne vertébrale sectionnée à 80% au niveau du cou. La police a confirmé que Mr Gray est mort d’une blessure cervicale. Freddie Gray est décédé le 19 Avril 2015, une semaine après son interpellation. Le 1er Mai 2015, le médecin légiste chargé du dossier a conclu à un homicide. Selon de multiples hypothèses, les six policiers l’auraient soumis à une forme de violence policière connue sous le nom de “rough ride”, qui consiste à placer un prisonnier sans ceinture de sécurité dans un véhicule conduit brutalement. Les officiers ont été accusés des délits suivants : meurtre au second degré, homicide involontaire, voie de fait au second degré, homicide commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule, faute dans l’exercice des fonctions, et séquestration. Tous ont été dédouanés, soit par acquittement, soit par abandon des poursuites.  La mort de Mr Gray a exacerbé des tensions de longue date à Baltimore et déclenché des manifestations de rue, des altercations avec la police et des violences entre le 18 Avril et le 3 Mai.

Projet

J’ai créé cette installation à partir de trois photos de Mr Gray qui étaient omniprésentes durant les évènements décrits ci-dessus :

  • Une photo de famille

  • Une photo prise pendant son interpellation

  • Une image de Mr Gray à l’hôpital entre la vie et la mort 

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À l’aide d’outils digitaux, j’ai pu « calculer » la couleur moyenne de chaque image à partir des pixels pour obtenir trois tons monochromes. Les couleurs obtenues sont une représentation monochrome de la vie, de la souffrance et de la mort de Mr Gray et forment une chronologie (coin de rue, interpellation, hôpital) des évènements. J’ai travaillé avec l’imprimeur du musée pour reproduire ces couleurs et les imprimer sur le tissu transparent choisi par le Studio Renzo Piano pour revêtir la façade.



Projet 2:

Mémorial du Bloc de la Vente aux Enchères à Faneuil Hall – Un Site Dédié aux Africains et Afro-Américains Réduits en Esclavage Enlevés et Vendus en ces Lieux, et Dont le Labeur et le Trafic par le Biais du Commerce Triangulaire Ont Financé la Construction de Faneuil Hall)

Commande: Ville de Boston, Massachusetts, USA

Date: Non réalisé

Contacts:
Karin Goodfellow
Boston Arts Commission/Boston AIR Program
Boston City Hall, Room 802, Boston Massachusetts 02201 USA
karin.goodfellow@boston.gov

Suzanne Taylor
The Freedom Trail Foundation
44 School Street, Suite 250, Boston Massachusetts 02108 USA
https://www.thefreedomtrail.org/freedom-trail-foundation

Collaboratrice:
Patricia Seitz
Seitz Architects, Inc.
156 Pleasant Street, Arlington, Massachusetts 02476 USA
http://www.seitz-architects.com
patti@seitz-architects.com

Comité Consultatif/Référence:

  • Martin J. Walsh – Maire de la ville de Boston/Joyce Linehan, Responsable de la Politique, joyce.linehan@boston.gov

  • Camilo Alvarez-Director, Samsøñ, kmilo@samsonprojects.com

  • Kenny Bailey - Design for Social Intervention, kdb@ds4si.org 

  • Dr. Martin Blatt – Professeur d’Histoire et Directeur du Programme d’Histoire Publique, m.blatt@neu.edu

  • Dr. Kendra Field – Professeur Adjointe d’Histoire et Directrice du Centre pour l’Étude de la Race et de la Démocratie/Projet African American Trail à l’Université Tufts, Kendra.Field@tufts.edu

  • L’Merchie Frazier – Directrice de l’Éducation au Musée d’Histoire Afro-Américaine, frazier.lmerchie@gmail.com

  • Dr. Kerri Greenidge – Directrice du Programme d’Études Américaines/Projet African American Trail à l’Université Tufts, kerri.greenidge@tufts.edu

  • Sean Hennessey - National Park Service (ret.), 150warrenavenue@gmail.com

  • Dr. Ted Landsmark – Directeur du Centre Kitty & Michael Dukakis Pour La Politique Urbaine et Régionale à l’Université Northeastern, t.landsmark@northeastern.edu

  • Jill Medvedow, James Sachs Plaut, Directeur, Institut d’Art Contemporain, Boston, jmedvedow@icaboston.org

  • Dr. David Nelson - Ancien Président, Massachusetts College of Art and Design, nelson@massart.edu

  • Dr. Lyssa Palu-ay – Doyenne de la Faculté de Justice, Égalité et Transformation, Massachusetts College of Art and Design, lyssa.paluay@massart.edu

  • Lynn Smiledge – Présidente de la Commission des Monuments de Boston, lsmiledge@comcast.net

  • Abby Wolf – Directrice Exécutive du Centre Hutchins de Recherche Africaine et Afro-Américaine, Université de Harvard, wolf@fas.harvard.edu

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Histoire

La pratique de l’esclavage a commencé en Nouvelle Angleterre au moment de la colonisation britannique. Le livre de Wendy Warren New England Bound: Slavery and Colonization in Early America (En Route Pour La Nouvelle Angleterre: L’Esclavage et la Colonisation en Amérique) cite le journal de 1638 du Gouverneur John Winthrop, qui évoque l’arrivée au port du navire Desire, basé à Salem. Ce navire transportait dans ses cales des Africains réduits en esclavage.

Warren évoque également un certain Samuel Maverick, “ambitieux colon de la Nouvelle Angleterre”, qui la même année décida d’accroître son contingent d’esclaves en ordonnant un esclave Noir de violer une esclave Noire. Douze ans seulement après l’arrivée des colons à Plymouth, le trafic des esclaves Africains est lié à la naissance du Commonwealth et des États-Unis d’Amérique.

Le lien entre l’esclavage et l’économie nous mène à un certain Peter Faneuil et sa famille. Le succès et la fortune de Faneuil au tout début de l’histoire de la ville de Boston sont directement liés au trafic des Africains et des Afro-Américains. Sa participation au Commerce Triangulaire des personnes, de marchandise et de matière brute ont fait de ce “vieux garçon sympathique” un homme extrêmement riche. Il a transmis une partie de sa fortune au Commonwealth par le don d’une halle qui porte aujourd’hui encore son nom. La construction de ce “berceau de la liberté” est en effet financée par la richesse amassée grâce à l’échange d’individus Noirs contre des services et de la marchandise. La rue commerçante Merchants Row, site de l’ancien marché aux esclaves, longe Faneuil Hall, qui est au cœur de la ville de Boston.

 Comprendre l’esclavage, ainsi que ses retombées économiques, est essentiel pour comprendre l’histoire de la ville de Boston et celle de la nation. Je propose de créer une représentation visible de ce rapport en construisant un mémorial aux victimes de l’esclavage, afin que notre communauté puisse reconnaître, comprendre, et ressortir plus forte de cette expérience.

Le Mémorial 

Le Mémorial du Bloc de la Vente aux Enchères (Auction Block Memorial) est né de mon désir d’inclure dans le récit historique de la ville de Boston l’histoire vivante de l’asservissement des Africains et des Afro-Américains. Le mémorial est composé d’un bloc de vente aux enchères — l’endroit-même où les humains sont transformés en propriété privée. Afin d’être en harmonie visuelle avec une sculpture avoisinante, le monument sera en bronze avec une patine brune. La dalle de bronze mesurera environ 3x5 mètres et sera recouverte de texte et d’images en relief. Les routes du Commerce Triangulaire seront inscrites sur la dalle, y compris la voie de navigation du navire Desire.

Le mémorial sera composé de deux sections, une pour le commissaire-priseur (la petite section rectangulaire à droite) et une autre, plus importante, pour ceux qui étaient vendus aux enchères comme esclaves. C’est sur cette deuxième surface que sera inscrite la carte du Commerce Triangulaire, à partit duquel la famille Faneuil a bâti la fortune qui a financé la construction du marché couvert. 

Cette dalle symbolique (il ne s’agit pas d’un véritable bloc de vente aux enchères) sera incrustée au sol entre les pavés (sur la voie publique). Elle sera au même niveau que la rue – il n’y aura ni plateforme, ni contremarche. L’intention n’est pas de créer une quelconque intrusion verticale sur le site actuel. La dalle sera au contraire au ras du sol, et représentera de manière figurative le rapport entre la fortune et l’esclavage. La taille du bloc s’inspire de documents historiques qui attestent de l’espace accordé à la “marchandise humaine”, soit 90 cm x 1.5 mètres. La dalle sera coulée en tronçons de cette taille pour refléter ces conditions. En complèment, la section de taille inférieure comprendra des représentations historiques du “stockage d’esclaves”.

Afin d’évoquer la présence des Africains et Afro-Américains vendus en esclavage à Boston, la dalle de bronze sera chauffée en permanence à 37 degrés, comme le monument commémoratif de Horst Hoheisel à Buchenwald, en Allemagne. Le spectateur pourra toucher la plaque; une expérience intime et respectueuse qui évoquera la sensation de toucher une personne. Ainsi, le mémorial ne sera jamais enneigé et sera visible même en hiver.

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Comme l’oeuvre est au ras du sol, il est possible qu’elle soit ignorée, piétinée, et que les voitures circulent dessus.

Il ne doit y avoir aucun obstacle — ni rebord, ni colonne, ou n’importe quel autre blocage. Les passants doivent être entièrement libres de traverser la dalle de bronze ou pas. Ces “problèmes” ou “accidents” sont autant de métaphores pour la manière dont nous circulons actuellement dans les couloirs du Faneuil Hall et la rue Merchants Row. Le passant, qu’il soit touriste ou habitant, a le libre choix de dialoguer avec l’histoire ou non. C’est le choix que chacun de nous faisons chaque jour. Comme elle est au ras du sol, la dalle este accessible à tous, quel que soit le degré de mobilité. La surface chauffée et le texte et les images en relief rendent le monument également accessible aux personnes malvoyantes.

Après de longues discussions avec les partenaires et partisans du projet, je propose de construire le mémorial sur un terrain appartenant à la ville, situé en face du Faneuil Hall sur la Freedom Trail (Chemin de la Liberté) qui contourne le bâtiment à l’est. D’un point de vue métaphorique, il s’agit d’un chapitre caché de l’histoire qui fait néanmoins partie du lieu. Ceux qui entrent, sortent ou qui sont sur le point d’entrer dans les halles devront négocier le mémorial au tournant. Ceux qui parcourent le chemin de la Freedom Trail vont également tomber dessus au détour de leur promenade entre les divers sites historiques.